À Conakry, le rond-point du palais du peuple est désormais le théâtre d’un contrôle rigoureux des motards. La police routière y vérifie casques, chaussures fermées, et papiers des motos. Mais une nouvelle exigence surprend : seuls les motards munis d’un badge professionnel peuvent désormais accéder au centre administratif de Kaloum. Cette mesure, visée à instaurer l’ordre et la sécurité, suscite incompréhension et frustration parmi les travailleurs locaux, révélant des enjeux de communication et des accusations de corruption sur le terrain. Il y en a d’autres qui saluent l’initiative des autorités. Guineepanorama.com a enquêté pour vous.
Avec notre Reporter, Tamba Justin LÉNO
C’est au rond-point du palais du peuple de Conakry que tout commence. Ici, la police routière composée d’hommes et de femmes contrôle les règles de sécurité routière. Sur place, ce sont les motards qui sont beaucoup plus visés. Casque, chaussures fermées, papiers de motos, rien n’échappe au contrôle de la sécurité routière. Il faut tout avoir en sa possession pour pouvoir échapper à la loi. Un policier a accepté de témoigner sous anonymat.
« La presse n’est pas mon ennemie, nous a-t-il dit. J’accepte de vous donner les raisons de cet état de fait. Nous sommes dans une ville où toutes les affaires sont concentrées au centre administratif de Kaloum. Il faut qu’il y ait de l’ordre, une véritable sécurité je veux dire. Cela commence par savoir qui est dans les règles et qui ne l’est pas. D’où cette mesure de contrôler pour que chaque citoyen qui veut s’y rendre soit normal », a-t-il précisé, ajoutant que la toute nouvelle mesure de sécurité routière imposée est le contrôle de badges professionnels pour tous ceux-là qui travaillent à kaloum.
Justement, la nouvelle mesure liée à la possession d’un badge professionnel surprend à plus d’un titre les détenteurs de motos. Pour beaucoup comme Idrissa, prestataire de services, il n’y a pas eu de communication officielle autour, les médias qui véhiculent des informations crédibles de ce genre sont fermés s’est-il indigné. Ironie du sort, il a été arrêté au matin samedi du 13 juillet 2024, pour faute de badge avec sa moto.
« Ça fait deux ans que je suis à Kaloum avec mon centre de prestation de services. C’est la première fois que j’entende l’application d’une telle mesure de sécurité routière. C’est bien de réglementer chaque secteur d’activité mais il faut aussi prévenir les gens à temps », a-t-il déploré. Il a renchéri en nous confiant qu’on lui a demandé de négocier sur place, « une corruption à ciel ouvert », révèle le jeune homme souriant de façon ironique.
Dans la foulée, un confrère journaliste qui a préféré qu’on le cite sous anonymat a été empêché de regagner le centre ville où il devrait réaliser un reportage sur l’accès à l’eau potable à Coronthie, le quartier touché par l’incendie du plus grand dépôt d’hydrocarbures du pays. Il explique : « Je n’ai pas la carte professionnelle de presse à cause de la HAC qui ne me l’a jamais donnée malgré les efforts que j’ai fournis pour m’en offrir. Toutefois, je leur ai présenté un autre badge au compte de mon média mais qui n’est pas celui offert aux journalistes par la fameuse HAC », ironie t’il.
La voie est libre maintenant.
Du rond-point du Palais, nous voici à Kaloum Centre, boulevard de la présidence. Sur cet axe, il y a quelques mois encore en arrière, de petits groupes de conducteurs de -taxis-motos étaient visibles ça et là. Ibrahima, employé du secteur privé travaillant à Kaloum, apprécie la disparition des -taxis-motos sur ce trajet. « La voie est libre maintenant. Avant, les motards avaient occupés tout ici : de l’hôtel Kaloum au rond-point de Sandervalia. Les voitures avaient du mal à stationner. C’est bien qu’on ait interdit le travail de taxis-motos-« , argumente-a-t-il.
S’il s’exprime ainsi, c’est parce qu’il possède une voiture qui lui permet de se déplacer. « Avant ici, j’étais obligé d’emprunter une moto parce que si tu sors avec la voiture, tu ne peux garer là-où tu vas parce qu’il avait les motards à la devanture de presque tous les immeubles où il y a une entreprise ici ».
C’est un avis contraire que dégage Mouminatou DIALLO, coursière d’une entreprise privée à Kaloum. Mettant en avant son statut féminin, elle désapprouve l’interdiction des taxis-motos à Kaloum. « Nous les femmes, nous aimons nous déplacer par moto. Cela pour plusieurs raisons. Nous ne portons pas les mêmes chaussures que les hommes. Si tu as des talons et que tu te mettes à marcher, c’est compliqué », a-t-elle expliqué.
Les quelques intrépides conducteurs de taxis-motos à Kaloum refusent de se prêter à nos questions. Après plusieurs mètres de marche ça et là, nous avons rencontré un au marché Niger qui a accepté de nous parler. Il explique comment la mesure l’affecte. « C’est difficile pour nous actuellement ici. Moi je suis né ici, j’ai grandi ici, j’ai fini mes études mais je n’ai pas d’emploi. Donc c’est grâce à ma moto je me débrouille pour ma fiancé et moi. Mais depuis qu’on a interdit les taxis-motos à Kaloum, je fais moins de recettes. Je suis là parce que je ne peux pas aller faire ça en banlieue. Il y a plein d’autres motards là-bas déjà. Avant, je pouvais gagner 150 000 par jours. Mais maintenant, difficilement je gagne 90 000 », relate le jeune qui appelle les autorités à la Clémence. « Les chefs [autorités] n’ont qu’à avoir pitié. Je ne sais pas ce qu’on a fait de mal vraiment. Nous vivons de ça. Si c’est pas taxis-motos, beaucoup de familles à Kaloum ici seront dans des problèmes. J’ai un ami, c’est grâce à ça il paie la maison où il vit avec sa mère et ses frères. Son père est déjà décédé ».
Depuis l’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction des taxis-motos à Kaloum, près d’un demi millier de motos sont à la fourrière du Commissariat spécial de la sécurité routière de Kaloum et la fourrière nationale de Bonfi. L’amende pour récupérer est de 1 000 000 de francs guinéens payables au trésor public. Toujours est-il que la mesure est du pain béni pour certains agents qui après verbalisation, demandent des arrangements qui varient entre 300 et 500 000 francs guinéens, selon certains témoignages obtenus hors micro.