Nous l’avons dit dans un précédent article, le regretté patriarche de la Basse Guinée était un Personnage, certes controversé mais très influent et hyper puisant dans sa communauté. Feu Elhadj Sekhouna Abdel Rahimi Soumah est décédé le 31 octobre 2024 dans une clinique privée de Conakry à l’âge de 88 ans, en emportant avec lui un pan important de l’histoire de la Guinée.
Feu Sékhouna doit son aura à Lansana Conté, l’ancien président guinéen de 1984 à 2008, qui a œuvré pour faire de lui un patriarche assez craint. Avant la mort de l’ex-président, feu Sekhouna était le président des Maires des Communes rurales de Guinée.
A l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé, en 2010, le vieil homme était un soutien de l’opposant Cellou Dalein Diallo qu’il a accompagné dans toute la basse Côte, lors de la campagne du second tour.
Assez effacé, au début, en 2015, il a décidé de changer, véritablement, de camp pour rejoindre le parti au pouvoir à travers une technique dont lui seul avait le secret. Après la victoire du président sortant, Alpha Condé, à l’élection présidentielle du 11 Octobre 2015, les relations entre les deux étaient assez bonnes.
Nouvelles voitures, d’importantes sommes d’argents, de nouveaux privilèges, il a même retrouvé son poste de maire de la commune de Tanènè qu’il avait perdu, après la mort de Conté. Il était aperçu aux cotés du chef de l’Etat et de plusieurs de ses soutiens dans de multiples rencontres.
L’origine des dernières brouilles entre les deux hommes
Alpha Condé, « l’opposant historique » est connu pour ses capacités d’homme politique bien avisé prêt à tout pour arriver à ses fins. A l’obtention de son 2e mandat, en 2015, il préparait déjà le 3e pour 2020. Pour ce faire, il avait besoin de s’appuyer sur des entités complètement acquises à sa cause. Des conflits vont naitre dans plusieurs couches comme le syndicat, la société civile, les partis politiques, les coordinations régionales. Pour cette dernière, les Guinéens ont pu assister à la naissance de différentes coordinations régionales avec des bureaux parallèles en Basse Guinée, surtout. A partir de 2016, en Basse Guinée l’autorité d’Elhadj Sékhouna est contestée et aussitôt de nouveaux bureaux ont commencé à voir le jour. Elhadj Souna Yansané à Kaloum, Mamoudou Soumah à Dubréka ou feu colonel Facinet Touré qui voulait le poste. Grâce aux soutiens de quelques cadres de la basse côte, Elhadj Sékhouna sera à son tour réintronisé patriarche en 2019 à Kindia. A partir de la, il ne cache plus son opposition au projet de nouvelle constitution porté par le pouvoir.
Au cour d’une rencontre avec les ressortissants de la Basse-Guinée, il avait déclaré ceci : « Je leur ai dit que je ne suis pas contre le président de la République ; mais, je suis contre le 3ème mandat. La constitution prévoit deux mandats, il n’a qu’à faire ça et partir. Ce projet de 3ème mandat est dangereux pour le pays. Alpha même ne le veut pas, ce sont les cadres qui l’entourent qui veulent l’induire en erreur. Il s’agit notamment de Malick Sankhon. Il est en train de dilapider l’argent des assurés »
Il ne s’arrêtera pas qu’aux discours, il passera aux actes en apportant son soutien au Front National pour la défense de la Constitution (FNDC). A partir de là, il était alors devenu comme un pestiféré aux yeux de plusieurs hauts cadres du régime et il fallait l’abattre.
Aux obsèques de la mère de Kassory à Forécariah…
Le 14 juin 2019, aux obsèques de la mère du Premier Ministre d’alors, Ibrahima Kassory Fofana, à Forécariah, la loge officielle lui sera refusée, il sera même ignoré par l’ensemble des membres du gouvernement ayant effectué le déplacement. Il dira ceci plus tard : « C’était comme dans une guerre. Il y a eu accrochages entre les militaires et ceux qui nous protègent. Mieux, on avait dû manger dans le véhicule. On nous a refusés l’accès avec la voiture. On nous a installés là où se trouvaient des gamins. Le Premier ministre est passé, il ne nous a pas salués, d’autres hauts responsables, le préfet de Forécariah idem » dira-t-il.
Il sera comme galvanisé après ces nombreux actes d’humiliation. Il s’affiche main dans la main avec la coordination Halli Poular et avec le FNDC composé des partis politiques de l’opposition dont l’UFDG et l’UFR.
Elhadj Sékhouna gazé à domicile par les Forces de l’ordre
Le 1er septembre 2020, alors que les coordinations régionales proches du FNDC se réunissaient au domicile du patriarche de la Basse-Guinée pour une réunion, les agents des forces de l’ordre ont encerclé la résidence empêchant toute sortie ou entrée. Ce confinement qui a duré de longues heures a donné lieu à des tensions occasionnant l’utilisation de gaz lacrymogènes dans l’enceinte de la cour par les agents déployés. Le bilan faisait état d’une dizaine de blessés, coté civil et plusieurs cartouches de gaz rassemblée dans un sac de riz de 50 Kilogrammes.
Deux semaines plus tard, Elhadj Sékhouna Soumah avait porté plainte contre le préfet de Dubréka, le commandant de la gendarmerie de Dubréka, le maire, le sous-préfet, le commissaire de police de Tanènè et le commandant de la gendarmerie de Tanènè pour « coups et blessures volontaires », « vol », « violences », « menace », « séquestration ». Un dossier qui n’a jamais prospéré.
Les nombreuses actions et déclarations du doyen ne changeront rien à la décision d’Alpha Condé qui a fini par faire adopter une nouvelle constitution qui lui a fait bénéficier d’un mandat supplémentaire à l’issue des élections tenues le 18 octobre 2020, dans une violence inouïe qui a fait plusieurs victimes en Guinée.
Un an plus tard le 05 septembre 2021, Alpha Condé sera déchu du pouvoir à travers un coup d’Etat savamment mené par le CNRD dirigé par le Général Mamadi Doumbouya (Colonel à l’époque des faits).
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Ce changement de régime a nettement soulagé Sekhouna qui n’a pas caché sa joie aux côtés du nouvel homme fort de Guinée qui lui a rendu visite à Tanènè et qui a rendu hommage à feu Président Lansana Conté.
Avant donc sa mort, l’histoire retiendra que le Patriarche Sékhouna a marqué les esprits à travers un dernier baroud d’honneur, un combat ultime qu’il s’est senti obligé de mener contre l’ancien président, Alpha Condé qui voulait d’un 3e mandat. Il n’a pas changé d’un seul iota sa position, malgré tout ce qu’il a subi et les propositions mirobolantes qu’on a pu lui faire à l’époque. Beaucoup, à ses cotés pensaient qu’ils les trahiraient mais il ne l’a pas fait.
On ne le dit pas assez mais ce dernier acte fort a contribué à soigner l’image assez écornée de ce vieil homme qui a marqué son temps.
Le 31 octobre 2024, à l’annonce du décès d’Elhadj Sekhouna, les hommages ont fusé de partout, surtout des acteurs politiques. Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, chacun a honoré à sa manière la mémoire du doyen.
Le Focus de la Rédaction