Le décret portant dissolution du gouvernement burkinabè dirigé par le Premier ministre Dr. Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambela, signé par le Président Ibrahim TRAORÉ, n’a fourni aucune justification officielle. Cependant, les investigations menées par Guineepanorama.com mettent en lumière une série de tensions internes qui pourraient éclairer ce brusque remaniement.
Un clash entre valeurs modernes et traditions ancestrales
Au cœur de ces tensions, une déclaration controversée du Premier ministre à l’occasion d’une cérémonie de montée des couleurs à la Primature. Critiquant ouvertement les pratiques traditionnelles telles que les fétiches, il a affirmé : « Quelqu’un qui n’a pas la connaissance, c’est quelqu’un qui est résigné. Il ne comprend rien au monde. Alors, il a recours aux superstitions, au maraboutage, aux fétiches qui n’ont aucun effet. La preuve est que nos grands-parents, malgré leurs fétiches, n’ont pas pu empêcher les colons de venir nous canarder… »
Cette attaque frontale a suscité une vive réaction au sein de l’opinion burkinabè, particulièrement du Ministre de l’Éducation et de la Culture, Rima du Busma, également historien et fervent défenseur des valeurs traditionnelles. Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre le 6 octobre 2024, il a dénoncé des propos qu’il jugeait contraires à la vision du Président TRAORÉ. « C’est tout un Chef de Gouvernement qui jette en pâture des millions d’adeptes des croyances ancestrales. Ces paroles sont en contradiction totale avec les efforts du régime actuel pour valoriser nos coutumes et traditions. »
Une dynamique de rupture mal maîtrisée ?
Depuis l’accession d’Ibrahim TRAORÉ à la tête du Burkina Faso en 2022, les autorités de la transition ont multiplié les initiatives pour préserver l’héritage culturel. L’instauration de la Journée nationale des coutumes et traditions qui a lieu le 15 mai, la promotion des langues nationales et la reconnaissance officielle de la chefferie coutumière témoignent de cette orientation.
Dans ce contexte, les propos du Premier ministre, bien qu’exprimés dans un souci de rationalité moderne, ont été perçus comme une dissonance majeure, mettant à mal l’unité nationale.
Des excuses publiques insuffisantes ?
Face à la polémique, Dr. Kyélem de Tambela a tenté de désamorcer la crise en présentant des excuses publiques lors de sa visite à Moscou, le 9 octobre 2024, dans le cadre des Journées économiques du Burkina Faso : « Si les gens ont été choqués, de bonne foi, je leur présente mes excuses. Nous sommes engagés à renforcer la culture nationale. Si certains se sont sentis blessés par mes propos, je leur présente honnêtement mes excuses. »
Ces paroles n’auraient pas suffi à calmer les tensions au sein de l’équipe gouvernementale, poussant le président burkinabè à sévir.
Des similitudes avec la Guinée
On se souvient qu’en Guinée, un autre pays en transition, la dissolution du gouvernement est intervenue après des fuites d’échanges houleux par courriers entre membres du gouvernement. Le dernier cas a concerné l’ancien Premier ministre, Dr Bernard GOUMOU et le ministre de la justice, Alphonse Charles WRIGHT. Le premier qui a ordonné l’arrêt des injections aux fins de poursuite judiciaire contre les admistrateurs et autres agents publics au motif que ces injonction sont infructueuses, a reçu une fin de non-recevoir.
Un contexte politique complexe
Bien que la dissolution du gouvernement ne puisse être attribuée uniquement à cette controverse, elle illustre les défis auxquels fait face la transition burkinabè : concilier modernité et tradition tout en maintenant la cohésion sociale. La fragilité du consensus sur ces questions cruciales pourrait avoir pesé dans la décision du Président Ibrahim TRAORÉ.
Si le Burkina Faso cherche à restaurer son intégrité territoriale face aux menaces sécuritaires, il doit également veiller à préserver l’équilibre délicat entre ses aspirations modernes et son patrimoine ancestral. Une leçon à méditer pour les prochaines équipes dirigeantes.
Saa Joseph KADOUNO