« Quatre ans de solitude » : c’est ainsi que Fatoumata Diallo et Marième Soumaré ont choisi d’intituler le portrait qu’elles signent pour Jeune Afrique de l’ancien chef de l’État guinéen, qui ne s’est jamais remis de sa chute. « Il vit mal son exil », confirme François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, au micro de RFI. « C’est un homme dévoré par la politique, par la passion de sa terre natale, et pour lequel l’absence de perspective est une souffrance », précise-t-il.
Certes, Alpha Condé a connu trente ans d’exil avant d’accéder à la présidence, en 2010. Mais, selon François Soudan, « cet exil-là est particulier, en ce sens qu’il est – tout au moins à l’heure où nous parlons, sans perspective discernable de retour ». Et pour lui, « c’est incontestablement une souffrance ».
Un homme coupé du monde
Alpha Condé « continue de se tenir droit dans ses bottes, fidèle à l’orgueil qui le caractérise » et ne montre aucun signe de compromis avec la junte. Mais aucune autocritique non plus : l’ancien président campe sur son bilan, se défendant d’avoir jamais trahi sa promesse républicaine. Derrière cette posture, c’est la solitude d’un homme coupé du monde qui transparaît.
« La plupart de ses anciens collaborateurs se sont éloignés ou croupissent en prison à Conakry », écrivent Fatoumata Diallo et Marième Soumaré. Les autorités turques, qui l’hébergent, ne souhaitent pas qu’il s’exprime publiquement. « Il n’a pratiquement plus de famille, et les chefs d’État dont il fut proche ont bien du mal à lui répondre au téléphone », ajoute François Soudan.
Pourtant, en Guinée, le souvenir du premier président démocratiquement élu reste vivace. « Il demeure une figure controversée, mais respectée, avec parfois un brin de nostalgie », reconnaît le directeur de la rédaction de JA. « Il n’y avait pas, lorsqu’il était au pouvoir, d’enlèvements ni de disparitions d’opposants ». Il y a eu cependant, la dérive autoritaire de la fin de son règne, et le très controversé troisième mandat.
Doumbouya sur les terres d’Alpha
Le général Mamadi Doumbouya, auteur du putsch de 2021, n’est pas un inconnu pour Condé. « Lorsque Doumbouya rentre en Guinée en 2012, c’est sur recommandation de proches du président », rappelle François Soudan. C’est Alpha Condé lui-même qui le nomme à la tête des forces spéciales. « Jusqu’au jour du coup d’État, il lui faisait confiance, refusant d’écouter ceux qui l’avertissaient du danger. »
Ce 5 septembre 2021, le professeur vit donc sa chute comme « une trahison personnelle ». Une blessure d’autant plus profonde que Doumbouya, malinké lui aussi, s’emploie aujourd’hui à récupérer le fief historique de Condé, la Haute-Guinée. « Oui, j’ai renversé votre leader, mais je suis l’un des vôtres », semble-t-il dire à travers ses projets routiers et ses tournées symboliques.
Pour François Soudan, « tout n’est pas irréversible ». Si le chef de la junte, après la présidentielle à venir, « tend la main avec le respect dû à l’aîné, dans un geste de réhabilitation », alors peut-être Alpha Condé acceptera-t-il. Mais à ce jour, l’ancien président reste figé entre orgueil et mélancolie. « Les exilés n’ont plus d’amis », conclut François Soudan.