La tribune de Mohamed Bakary KÉÏTA, ancien Secrétaire général de la Jeunesse de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), vient à contre-courant de la ligne officielle de son parti, qui s’oppose catégoriquement à tout prolongement de la transition politique au-delà du délai fixé. Dans un texte articulé et profond, il défend l’idée que le glissement du calendrier de la transition, loin d’être une erreur à éviter, pourrait en réalité être une opportunité pour renforcer les fondations démocratiques du pays.
Une critique du passé et un appel à la réflexion
Bakary KÉÏTA commence sa tribune en rappelant les erreurs passées lors de la transition de 2010, où selon lui, la Guinée a manqué l’occasion de bâtir des institutions solides en raison de la précipitation des acteurs politiques. Ce manque de préparation institutionnelle a engendré une série de crises post-électorales, notamment la contestation du fichier électoral, la remise en cause des résultats, et des tensions sociales profondes. Ces dysfonctionnements ont culminé avec la crise du troisième mandat en 2020, marquée par une violence inédite.
Il accuse les élites politiques d’avoir privilégié leurs ambitions personnelles au détriment de la construction d’une démocratie stable. « Plutôt que de doter la Guinée de lois et d’institutions fortes, chacun, convaincu de sa victoire certaine à la prochaine élection présidentielle, a préféré miser sur soi, » déplore-t-il, en appelant à tirer les leçons de ce passé tumultueux.
Une transition à renforcer, non à précipiter
Dans une position qui tranche avec celle de l’UFDG, KÉÏTA voit le glissement du calendrier de la transition comme une chance pour éviter une répétition des erreurs de 2010. « Le glissement du calendrier de la transition, bien qu’il suscite souvent des inquiétudes et des critiques, doit être envisagé comme une opportunité d’éviter la répétition des pièges et erreurs du passé », affirme-t-il.
Il exhorte à ne pas céder aux pressions et aux discours bellicistes, qui selon lui, ne feraient que précipiter la Guinée dans une nouvelle spirale de crises. « En Guinée, l’histoire récente nous a montré que des décisions précipitées et des manquements aux fondamentaux institutionnels peuvent avoir des conséquences coûteuses, graves et durables sur la stabilité, la paix, la quiétude sociale et le processus de construction de la démocratie. En 2010 un moment clé pour la Guinée, une grande partie des citoyens ont confié aux partis politiques le soin de décider du chronogramme, de la cadence et de l’ordre des élections, ainsi que le choix du premier ministre et la quasi-totalité des membres du gouvernement. Plutôt que de doter la Guinée de lois et d’institutions fortes, ou du moins légitimes, chacun, convaincu de sa victoire certaine à la prochaine élection présidentielle, a préféré miser sur soit, avec la certitude d’être le futur Président de la République, lui conférant la légalité et la légitimité nécessaires, mais au détriment d’un référendum constitutionnel censé encadrer la fonction présidentielle, l’organisation et le bon fonctionnement de l’Etat », analyse l’ancien directeur général du CNSP
Il propose plutôt un dialogue national sincère et constructif, axé sur la mise en place de lois et d’institutions solides avant d’organiser des élections. « Le CNRD doit veiller à ce que chaque étape de la transition soit franchie avec prudence, » ajoute-t-il, insistant sur le fait que des réformes institutionnelles crédibles sont une condition sine qua non pour garantir la stabilité future du pays.
Une perspective qui divise
Les propos de Bakary KÉÏTA ne manqueront pas de susciter des débats au sein de l’UFDG, un parti qui a figure parmi les plus virulents opposants à la prolongation de la transition. Le président du parti, Cellou Dalein DIALLO, a maintes fois réaffirmé sa position ferme contre toute tentative de prolongation du calendrier. Cependant, la tribune de KÉÏTA soulève une question fondamentale : la Guinée est-elle prête à sortir de cette transition, ou est-il nécessaire de prendre plus de temps pour garantir un avenir stable ?
Bakary KÉÏTA conclut en appelant à un apaisement du discours politique et à une recherche de consensus autour d’un nouveau chronogramme. Pour lui, l’urgence n’est pas de quitter la transition à tout prix, mais de sortir de cette période avec des bases solides pour une démocratie pérenne.
« L’intimidation, le chantage et les discours bellicistes ne sont pas la solution – La rue, les chantages et des discours extrémistes sont loin d’être des solutions – Le CNRD a-t-il le droit d’établir un fichier électoral qui serait contesté dès le premier tour, comme en 2010 ? Non. Certainement pas
– Le CNRD doit-il renoncer à la responsabilité d’organiser les différentes élections crédibles pour construire une administration territoriale forte et des institutions robustes ? Non. Car cela compromettrait les avancées obtenues. Le CNRD doit-il céder à la pression et quitter le pouvoir sans avoir accompli les réformes fondamentales nécessaires pour garantir la stabilité future du pays ? Absolument pas – Il est impératif de mettre en place des lois et des institutions solides avant de se tourner vers le choix des dirigeants. »
Cette divergence au sein de l’UFDG pourrait ouvrir un nouveau chapitre dans le débat national sur la transition et sur la manière de l’achever sans retomber dans les travers du passé.
La rédaction