L’avant-projet de la nouvelle Constitution guinéenne prévoit de revolutionner la gouvernance à travers la responsabilisation des hauts dirigeants du pays. Avec l’introduction de la « Cour spéciale de Justice de la République », un mécanisme inédit voit le jour pour juger le Président de la République, le Premier ministre, et les membres du gouvernement pour des « crimes » ou « délits » liés à leurs fonctions. Ces dispositions, inscrites sous le Sous-titre IV, visent à renforcer la redevabilité au sommet de l’État.
Un cadre juridique clair pour juger les plus hautes autorités
L’article 163 de la plausible future constitution précise que la « Cour spéciale de Justice de la République » sera compétente pour juger le Président de la République en cas de « haute trahison », ainsi que les membres du gouvernement pour des « crimes » ou « délits » commis dans l’exercice de leurs fonctions.
L’objectif affiché est clair : mettre fin à l’impunité, même pour les plus hauts responsables. Cette juridiction spécialisée est pensée pour répondre aux attentes de transparence et de justice exprimées par les citoyens.
Selon l’article 164, la haute trahison englobe notamment :
• La violation du serment présidentiel ;
• La complicité dans des violations graves des droits de l’homme ;
• La promotion de l’ethnocentrisme ou de la haine ;
• Les atteintes aux principes environnementaux et au développement durable ;
• La mauvaise gestion des ressources naturelles.
Ces définitions larges et inclusives traduisent une volonté de protéger des valeurs essentielles pour la République, tout en tenant les dirigeants responsables de leurs actions.
La procédure de mise en accusation
L’article 165 détaille un processus rigoureux pour initier une mise en accusation contre le Président : « En cas de haute trahison, la mise en accusation est initiée par un dixième (1/10) au moins des Députés issus de groupes parlementaires différents. Elle ne peut intervenir qu’à la suite d’un vote du Parlement réuni en Conseil de la Nation à la majorité de deux tiers (2/3) des membres qui le composent, au scrutin secret. S’il est acquitté, il reprend ses fonctions de Président de la République.
L’instruction et le jugement ont lieu toutes affaires cessantes », détaille-t-il.
En cas de culpabilité reconnue, les conséquences sont immédiates : Lorsque le Président de la République est reconnu coupable de haute trahison, il est déchu de ses fonctions. L’intérim du Président de la République est alors assuré, conformément aux articles 71 et 72 de la présente Constitution ».
Cependant, si l’accusé est acquitté, il reprend ses fonctions, préservant ainsi le principe de la présomption d’innocence.
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Une composition pluraliste
La composition de la Cour spéciale, définie par l’article 167, reflète un équilibre institutionnel. Elle compte neuf membres :
• Un représentant de la Cour suprême ;
• Un de la Cour constitutionnelle ;
• Un de la Cour des comptes ;
• Trois députés issus de groupes parlementaires distincts ;
• Trois sénateurs.
Le président de cette juridiction sera un magistrat élu par ses pairs, renforçant encore l’indépendance de cette instance. Ce pluralisme vise à garantir l’impartialité et la diversité des points de vue au sein de la Cour.
Conséquences pour les membres du gouvernement
Les articles 166 et 168 stipulent que les membres du gouvernement mis en accusation sont immédiatement suspendus de leurs fonctions. En cas de condamnation, ils sont révoqués ; en cas d’acquittement, ils reprennent leurs responsabilités. Ce mécanisme permet de minimiser les interférences dans la gestion de l’État tout en garantissant un processus judiciaire équitable.
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Une avancée pour la gouvernance publique
En instituant cette Cour spéciale, la nouvelle Constitution établit un précédent important pour la responsabilité politique en Guinée. Cette disposition montre une réelle volonté de lutter contre la corruption et les abus de pouvoir, tout en protégeant les droits fondamentaux et les ressources nationales.
Si elle est adoptée, cette innovation juridique pourrait devenir un modèle pour d’autres nations africaines désireuses de renforcer la transparence et la bonne gouvernance.
Les dirigeants actuels, en cas de continuité de leur pouvoir seront-ils frappés par cette juridiction, la question mérite d’être posée aux juristes.
Nous y reviendrons ?
Saa Joseph KADOUNO