Les pays du Sahel ont passé en exécution leur menace. Le samedi 06 juillet 2024, ils ont tenu leur premier sommet. Désormais le divorce avec la communauté des États Économiques de l’Afrique de l’Ouest est consommé. Au cours de ce sommet, le président malien, Assimiou Goïta a été désigné président de l’AES pour une année. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, tous des pays en transition et sous menaces terroristes décident ainsi de « prendre leur destin en main ». Dans une interview accordée à guineepanorama.com, ce mardi 9 juillet 2024, Thierno Boubacar TOUNKARA, économiste et Chargé des cours de problèmes contemporains dans des universités guinéennes explique le contexte géopolitique ayant prévalu à la naissance de l’AES, ses objectifs, implications économiques et les obstacles potentiels.
Avec notre reporter, Mamadou Mouctar SYLLA
Guineepanorama.com : Pour commencer, C’est enfin confirmé, l’AES voit le jour ! Comment cela est-il arrivé ?
Thierno Boubacar TOUNKARA : Pour analyser la situation, il faut toujours la replacer dans le contexte. Ce sont les successions de coups d’état dans les pays de l’Afrique de l’Ouest qui ont été mal gérés par la Communauté Économiques des États de l’Afrique de l’ouest, la CEDEAO, qui a entraîné la rupture entre ces pays et l’organisation sous-régionale africaine. Vous vous souvenez qu’ il y a eu d’abord le coup d’État au Mali contre IBK le 18 août 2020, ensuite, y a eu un deuxième en mai contre N’dao qui avait été placé à la tête de la transition. Quelque temps après, ils l’évincent et Assimi GOÏTA s’est installé au pouvoir. Dès après ça, le 05 septembre 2021, il y a eu un coup d’État en Guinée. Les forces spéciales ont pris le pouvoir. C’est là où Emballo, président de la CEDEAO d’alors a élevé le ton. Il a prôné l’utilisation des forces armées pour rétablir les régimes constitutionnels. Il l’a fait en tant que président de la CEDEAO et entre temps il y a eu le coup d’État au Burkina en septembre 2022 contre Damiba. TRAORÉ est monté au pouvoir. Ça a coïncidé à l’élection de Tinibou, le président du Nigeria. Il a repris le discours de Emballo. Et lui aussi s’est arcbouté. Il a aussi prôné le recours à la force militaire. Les pays même avaient contribué, le Bénin avait annoncé sa contribution, certains pays comme le Sénégal étaient prêts à accompagner le mouvement d’intervention et finalement tout ça c’est tombé à l’eau. Entre-temps , il y a eu le coup d’État au Niger en 2023 contre Bazoum. C’est là où réellement les choses se sont corsées entre la CEDEAO et les pays du sahel donc il y a eu le divorce. Ces pays ont été sanctionnés par la CEDEAO et ils se sont retrouvés très vite parce qu’ils étaient dans la même situation. Lorsqu’ils ont menacé d’intervenir au Niger pour rétablir Bazoum, les pays se sont retrouvés pour constituer une force de défense et c’était le départ de la crise. L’intervention militaire était impossible. D’abord, parce que Tinibou même a mal évalué la situation nigerianne, il venait d’être fraîchement élu, il connaissait mal les choses. Il a compris que même le Nigeria n’était pas en bonne position de réunir des forces pour attaquer un pays voisin. Beaucoup de voix se sont élevées au Nigeria pour dissuader l’intervention militaire. Parce que ce sont les mêmes peuples. [Il y a des nigerians de Niamey au Nigeria et y a des Nigérians de Lagos à Niamey. Ce n’est pas possible de faire la guerre. Donc on s’est rendu compte que c’était une mauvaise piste. La crise s’est exacerbée. Les Etats du Sahel ont pris conscience et se sont réorganisés pour former un bloc et ont décidé leur retrait de la CEDEAO. Mais pour sortir de la CEDEAO, il y a un protocole à respecter. Il faut un an au moins. Si en un an on a pas pu réconcilier, ça vient avaliser. Malgré tout, la CEDEAO n’a pas pu reprendre les initiatives. Si elle avait réussi à prendre les initiatives à retourner la situation, peut-être on aurait pu éviter ce qui arrive maintenant. Ces états ont été rattrapés par l’idée souverainiste qui souffle sur l’Afrique. Tous les pays africains rêvent de couper les ponts avec l’occident. Les Etats du Sahel sont partis jusqu’à organiser un sommet à la veille du sommet de la CEDEAO. Ça veut dire que le défi est majeur. Ils ont des bases.
Ces pays sont confrontés au terrorisme, c’est l’une des causes des coups d’état qu’il y a eu dans ces pays et les terroristes sevient depuis une vingtaine d’années et la CEDEAO est incapable d’intervenir. Y a pas une armée de la CEDEAO. Certains pays de la CEDEAO interviennent au Mali mais à titre bilatéral. La CEDEAO n’a aucune initiative pour lutter contre les terroristes qui sévissent dans leurs pays. La coopération ne leur apporte rien. Ce n’est pas la réduction du chômage, ce n’est pas la réduction de la pauvreté, ce n’est pas la sécurité. Alors à quoi ça sert. Ces gens-là se sont révoltés, ont tout rejeté et ont dénoncé certains accords. Ils veulent prendre leur destin en main. Et le mouvement a réussi au Mali en récupérant son territoire. Le pays ne contrôlait que 15 % de son territoire mais avec l’intervention de Wagner et le réarmement de l’armée malienne, aujourd’hui ils ont récupéré presque la totalité de leur territoire. Ce mouvement de souverenistes est très profond et très fort. Toute l’Afrique est baignée par cet élan. Et le Mali à démontré que c’est possible.
On peut conclure que le Mali, le Niger et le Burkina Faso c’est désormais un souvenir au sein de la CEDEAO ?
Vous savez cet esprit de solidarité entre ces pays du sahel a été rejeté au départ par la CEDEAO et maintenant on veut les ramener, c’est le plus difficile à faire. C’est pourquoi y a une main tendue, on désigne Diomaye FAYE du Sénégal pour jouer la médiation mais ils oublient que Diomaye FAYE même est l’une des têtes du pont souvereniste Africain de l’Afrique de l’ouest.
Au Sénégal Systématiquement, on veut tourner le dos à toute domination étrangère. Dans les conditions actuelles, je vois mal comment ces pays peuvent renoncer à ce qu’ils ont déjà fait pour avoir la souveraineté de leurs États et surtout que dans leur démarche il y a quand même une certaine méthode.
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L’AES est-elle une alliance de poids au niveau sous-régional et mondial en termes de sécurité ?
Économiquement, ces pays ont des ressources qui intéressent les occidentaux. Si les occidentaux ne viennent pas, les pays asiatiques viendront, la Russie viendra donc y a des concours de circonstances qui font que, ils peuvent être maîtres de leur destin.
L’AES peut-elle attirer de nouveaux adhérents ?
La situation n’est pas pareille. Rares sont les pays africains qui sont dans la même situation que ces pays-là. À part Centr-Afrique et Mozambique où encore le terrorisme frappe, où il ya de groupes d’intervention étrangers mais même dans ces pays, [il] y a des relances de souverenisme. Par exemple la Centrafrique. Il y a pour le moment un mélange d’interventions françaises voire américaines même mais la Russie est déjà présente. En tout cas dans la sous région, y a rares des pays qui seront portés vers des situations que cette situation. Les problèmes ne sont pas les mêmes. Si la CEDEAO montre ses limites et la marche vers la fédération abouti, il n’y a pas de doutes que beaucoup des pays rejoindront [l’AES]. Parce que l’aboutissement, c’est de créer un grand espace politique, un grand espace géopolitique, un grand espace économique et un grand espace humain pour le marché pour créer une certaine dynamique. Donc si ça réussit, les pays suivront.
Pourra- t-elle attirer des investisseurs étrangers alors que ses pays ne sont pas en bon termes avec l’occident ?
Quelque soit la situation, les investisseurs étrangers viendront. Parce qu’il y a problème avec les occidentaux, qui sont regardant sur les droits de l’homme et les régimes constitutionnel, [il] y a des pays comme la Russie, la Chine, l’Iran qui [ne] s’encombrent pas de préalables viendront. Aujourd’hui la compétition mondiale fait que chacun fait recours vers la source des matières premières et ces pays en ont, ils viendront. Il y aura des investisseurs. Ou des investisseurs étatiques, ou des investisseurs privés mais [il] y en aura toujours.
Quels pourraientt être les obstacles politiques et économiques de l’AES ?
Non ! il n’y a aucun obstacle. Ce sont des intentions déclarées et les décisions sont déterminées. Politiquement par exemple, ces pays sont indépendants. Ils sont libres de choisir la voie [à suivre]. Économiquement, ils sont libres de faire des choix économiques, de choisir leurs partenaires et de développer. Donc [il n’] y a pas de conséquences politiques ni économiques. J’entends la CEDEAO parler de visa entre les pays, ce qui est pratiquement impossible. Ce ne sont pas des gens qui prennent des avions pour se déplacer d’une capitale à une autre capitale. C’est le petit commerce transfrontalier qui marche.