L’arrivée de Mohamed TOURÉ à Conakry le 8 février 2025 a été saluée par une large médiatisation, qui a donné à l’événement des airs de triomphe national. Condamné en 2019 aux États-Unis avec son épouse pour « traite d’enfant » et promis à l’expulsion à la fin de sa peine, il est revenu au bercail sous le feu des projecteurs. Mais à quel prix ?
Ce retour, qualifié par l’intéressé lui-même comme le « produit d’un forcing politique », a immédiatement suscité des interrogations. Si, comme il l’affirme, des « instructions fermes » ont été données pour « sauter certaines procédures », faut-il comprendre que Conakry a réussi là où tant d’autres échouent, en s’imposant face au système judiciaire américain ? À moins que la vérité ne soit plus prosaïque : Mohamed TOURÉ et son épouse auraient simplement purgé leur peine et l’expulsion vers la Guinée était déjà prévue.
Sur les réseaux sociaux, les avis sont partagés. Certains crient au « mensonge d’État », accusant la junte de vouloir s’attribuer une victoire qui n’existe pas. D’autres, en revanche, voient dans cette libération la preuve d’un pouvoir fort, capable de négocier avec une grande puissance et d’obtenir gain de cause. Mais alors, si Mamadi DOUMBOUYA peut obtenir la libération d’un citoyen guinéen détenu à l’étranger, pourquoi ne pas faire preuve de la même diligence pour ceux qui croupissent dans les prisons du pays ? C’est du moins la question que se posent bon nombre de Guinéens.
Un coup de com en pleine promotion de la candidature de Mamadi DOUMBOUYA ?
Derrière cette affaire, c’est aussi la question du timing qui intrigue. La transition, censée se terminer en 2024, s’est prolongée sans véritable horizon de sortie. Et alors que la promotion d’une candidature de Mamadi DOUMBOUYA semble s’intensifier sur le terrain, ce type d’opération spectaculaire ne peut être perçu comme anodin. L’exfiltration d’un fils d’ancien président, bénéficiant d’une couverture médiatique massive, participe-t-elle d’une stratégie plus large visant à asseoir une stature présidentielle ? Les mots de la mère de Mohamed : « nous sommes de cœur avec lui » sont aussi de nature à intensifier les soupçons.
Si le pouvoir a réellement négocié cette libération dans l’ombre, pourquoi ne pas en avoir informé le public plus tôt ? Et surtout, pourquoi cet activisme soudain alors que tant de dossiers nationaux restent en suspens ?
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Une victoire diplomatique mais pour qui ?
Ce que révèle avant tout cette affaire, c’est l’art de la mise en scène politique. Qu’il s’agisse d’une victoire diplomatique réelle ou d’une récupération bien orchestrée, le pouvoir de Conakry a su tirer profit de l’événement. Mais à l’heure où la transition peine à convaincre sur sa capacité à mener à bien ses engagements, cette affaire pose une question plus large : la Guinée a-t-elle besoin de symboles ou de réformes concrètes ?
Le retour de Mohamed TOURÉ marque peut-être un succès d’image, mais la vraie bataille, celle de la crédibilité et de la légitimité, se joue sur un autre terrain.
Saa Joseph KADOUNO