Leur rencontre avait suscité un certain regain d’espoir. Le 19 avril, le ministre ivoirien de la Défense, Téné Birahima Ouattara, et son homologue burkinabè, le général Kassoum Coulibaly, se retrouvaient dans une localité burkinabè près de la frontière entre les deux pays. Un petit événement, tant les liens entre les deux voisins, qui partagent une frontière de plus de 500 kilomètres, zone mal délimitée exposée au risque d’attaques jihadistes, sont notoirement tendues depuis plusieurs mois.
« Qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments »
Mais une semaine plus tard, le 26 avril, cet espoir d’un réchauffement des relations bilatérales a été douché par une interview accordée par le président de la transition burkinabè, Ibrahim Traoré, diffusée sur la RTB, la télévision nationale publique. « Comment se porte la coopération avec les pays voisins ? » demande le journaliste. « Il faut le dire, ça va plus ou moins. Avec certains pays, il n’y a pas de problèmes. Avec d’autres, il ne faut pas continuer à faire de l’hypocrisie, il y a des soucis », répond le capitaine, béret rouge sur la tête, habits militaires et gants tactiques aux mains.
Dans son viseur, un seul pays : la Côte d’Ivoire. « Il faut qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments. Tous les déstabilisateurs du Burkina sont là-bas, ne se cachent pas […]. À un moment, il faut arrêter l’hypocrisie, il faut dire la vérité, il y a un problème avec les autorités de ce pays », affirme « IB. »
Le contact serait même « rompu » avec Alassane Ouattara, assure le militaire, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État il y a un an et demi. Au sujet de la rencontre entre les deux ministres – le général Kassoum Coulibaly est son oncle et Téné Birahima Ouattara, le frère du président ivoirien –, « IB » précise qu’elle a été organisée à la demande des Ivoiriens et que, désormais, « la balle est dans leur camp ». Le chef d’État, le plus jeune au monde, en profite pour fustiger l’absence, selon lui, de coopération de la Côte d’Ivoire au sujet des « gens qui ont commencé à partir là-bas, ceux qu’on recherche ».
Incident inédit
Interrogé sur l’arrestation d’un militaire de première classe burkinabè et d’un Volontaire pour la défense de la patrie (VDP, supplétif civil de l’armée) le 27 mars alors qu’ils se trouvaient en territoire ivoirien, à quelques kilomètres de la frontière, pour se ravitailler en cigarettes, Ibrahim Traoré estime qu’il s’agit d’un événement « mineur » comparé à la « guerre » menée par son pays contre le terrorisme. « Nous sommes en guerre, c’est mineur », répète-t-il.
Cette arrestation avait pourtant provoqué un incident inédit entre les deux pays. Des dizaines de militaires burkinabè avaient fait irruption sur les lieux de l’interpellation pour se livrer à ce qu’une source sécuritaire ivoirienne avait alors qualifié de « rodéo en ville », poussant les ivoiriens à faire décoller un hélicoptère Mi-24 pour survoler la zone. Le chef d’état-major des armées ivoiriennes, le général Lassina Doumbia, avait dû intervenir et s’entretenir avec son homologue burkinabè pour faire retomber la pression.
Ce militaire et ce VDP sont toujours incarcérés à Abidjan, tandis que Ouagadougou détient deux gendarmes ivoiriens depuis le mois de septembre, interpellés en territoire burkinabè. « Des cas particuliers, pris pour cause de renseignements », d’après le capitaine Traoré. Selon nos informations, ce dernier aurait exigé l’extradition d’opposants supposément présents à Abidjan et suspectés de complot contre son régime en échange de leur libération.
« Manœuvre de diversion »
Abidjan n’a, pour l’heure, pas officiellement réagi à cette interview donnée à la RTB. Mais selon une source ivoirienne, cette sortie médiatique d’Ibrahim Traoré ne serait ni plus ni moins qu’une « manœuvre de diversion pour faire oublier son échec dans la lutte contre terrorisme ». « Il est tellement commode d’accuser un autre pays, un pays qui, par ailleurs, accueille plus de 30 000 réfugiés à sa frontière et où vivent trois millions de Burkinabè. Qu’est ce ça rapporte ? Il est dans la provocation permanente », souffle cette source.
Sans lien direct avec cette charge d’Ibrahim Traoré, la Côte d’Ivoire a annoncé le 26 avril, lors de la troisième réunion du Comité de coordination relative à la gestion des réfugiés au Nord, la mise sur pied d’une équipe technique « à partir de la semaine prochaine, dont le rôle consistera à réfléchir d’une part, sur les conditions d’assistance immédiate de ces réfugiés, et d’autre part, sur le processus d’encouragement au retour vers le Burkina ». La Côte d’Ivoire a bâti deux sites de transit dans le nord du pays pour venir en aide aux populations fuyant les violences de l’autre côté de la frontière.
JeuneAfrique