Depuis plusieurs années, la Guinée affiche des taux de croissance solides, portés par l’exploitation minière, notamment la bauxite, dont le pays est l’un des premiers producteurs mondiaux. Cette manne minérale représente près de 90 % des exportations et contribue largement aux recettes publiques. Malgré cette croissance économique, elle demeure confrontée à des inégalités, classée 181 -ème sur 193 selon l’Indice de Développement Humain (IDH), reflétant des difficultés dans l’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures de base. Car près de 55 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et l’insécurité alimentaire touche une part significative des Guinéens, notamment en milieu rural.
En 2023, le gouvernement présente le projet Simandou 2040 comme moteur de l’émergence économique de la Guinée, en le nommant « Pont de la prospérité ». Pourtant, à y regarder de plus près, ce gisement de fer parmi les plus riches du monde risque de devenir le syndrome hollandais (malédiction des ressources naturelles) pour la Guinée.
Avec une capacité estimée à plus de 2 milliards de tonnes de minerai de fer de haute qualité, il(Simandou) aurait pu placer la Guinée parmi les principaux acteurs du marché mondial de l’acier. Pourtant, au lieu de maximiser la valeur ajoutée pour l’économie nationale, le pays s’est enlisé dans des accords qui laissent peu de place aux intérêts des populations, car la majorité des parts sont détenues par des consortiums étrangers, notamment le géant chinois WCS et le groupe anglo-australien Rio Tinto. Le gouvernement guinéen, censé défendre les intérêts de la nation, ne contrôle qu’une portion minoritaire du projet environ 15 % via la Société Minière de Boké et le Fonds National de Développement Local. Cela signifie que l’essentiel des bénéfices du projet sera capté par des capitaux extérieurs, avec une faible redistribution pour l’économie nationale, alors que la valeur du marché du fer est estimée à 120 $ la tonne, la Guinée ne percevra qu’une infime partie des revenus, tandis que la majorité des bénéfices sera captée en Chine et en Australie, où le minerai sera transformé en acier.
Alors la question que je me pose où sont vraiment les royalties et la transformation locale ?
Parce que dans toute exploitation minière responsable, l’État se doit d’obtenir des royalties(redevances) conséquentes et d’exiger une transformation locale afin de stimuler l’emploi et l’industrialisation. Or, la Guinée, en acceptant des conditions fiscales discutables et en ne contraignant pas les investisseurs à la transformation sur place, s’est privée d’un levier de développement structurant. L’absence d’usines de transformation signifie que le minerai brut sera directement exporté vers la Chine et d’autres marchés asiatiques. Résultat : aucune chaîne de valeur locale, aucun développement industriel significatif, et un marché du travail guinéen cantonné à des postes précaires dans l’extraction et la logistique. Pire encore, la fiscalité appliquée reste floue. Dans d’autres pays miniers l’État prélève jusqu’à 30 % des revenus sous forme de taxes et royalties. En Guinée, les concessions fiscales accordées aux investisseurs limitent drastiquement ces prélèvements, privant ainsi le budget national de ressources cruciales pour financer les politiques publiques.
Dans un pays où le taux de chômage des jeunes dépasse 60 %, un projet de cette ampleur aurait dû être un catalyseur majeur de l’emploi local. Or, faute de transferts de compétences et de formations adaptées, Simandou risque de reproduire le modèle des autres exploitations minières guinéennes : une extraction massive, mais une faible intégration de la main-d’œuvre nationale.
Cependant, l’un des plus grands échecs du projet Simandou réside dans l’absence d’exigences en matière de transformation locale. Contrairement à certains pays, qui imposent la transformation de leurs ressources avant l’exportation, la Guinée accepte de vendre son minerai brut, limitant ainsi les effets d’entraînement économiques.
Si le pays investissait dans une aciérie locale, il pourrait capter une part plus importante de la chaîne de valeur :
- Une tonne de minerai brut à 120 $ peut être transformée en acier vendu à 600 $ la tonne sur le marché international.
- En transformant ne serait-ce que 20 % de sa production localement, la Guinée pourrait générer des milliards de dollars de revenus supplémentaires à moyen et long terme.
Malheureusement, aucune clause du contrat actuel n’encourage la construction d’usines de transformation, condamnant ainsi le pays à rester un simple fournisseur de matière première. Alors que les revenus de Simandou pourraient financer le développement du pays, la fiscalité appliquée au projet est bien trop clémente :
- Les redevances minières sont fixées à 3,5 %, alors qu’au Chili, premier exportateur de cuivre, elles peuvent atteindre 14 %.
- Les exonérations fiscales accordées aux entreprises étrangères pendant les premières années d’exploitation réduisent encore plus les bénéfices pour l’État.
Au-delà des aspects économiques et fiscaux, l’exploitation de Simandou pose de sérieuses questions environnementales et sociales. La construction du corridor ferroviaire et du port minéralier risque de perturber des écosystèmes fragiles et d’exproprier des milliers de citoyens sans garanties de compensation équitable ce fut le cas des habitants du projet Kaléta.
Le précédent des projets miniers en Guinée nous enseigne que les engagements en matière de développement durable sont rarement respectés. À Boké, la bauxite a généré des milliards de dollars pour les multinationales, tandis que les populations locales subissent encore pollution, maladies respiratoires et chômage chronique. Simandou semble emprunter le même chemin, avec des infrastructures minières qui serviront avant tout les intérêts des investisseurs étrangers, au détriment des communautés locales. C’est dommage et révoltant que je répète les mêmes phares à mes enfants, mes neuves et nièces dans le futur ce que mes professeurs me disaient à l’école je cite « travaillez bien, les retombées de ce pays seront à vous » alors qu’un clan profite des richesses du pays au détriment des autres. L’exploitation du minerai de fer étant une ressource épuisable, devrait s’inscrire dans une vision de long terme visant à garantir un développement durable. Mais en cédant le contrôle de Simandou sans stratégie claire pour le réinvestissement des revenus miniers, la Guinée risque de reproduire le schéma classique de la malédiction des ressources : une croissance éphémère, suivie d’un effondrement lorsque les gisements seront épuisés.
Pour inverser la tendance, il est impératif de d’associer les experts guinéens en la matière, renégocier les termes du contrat, en imposant des conditions plus avantageuses :
- Augmenter la participation de l’État à hauteur de 30 à 40 % pour assurer une meilleure redistribution des profits.
- Instaurer une taxation plus rigoureuse sur l’exportation brute du minerai.
Exiger la construction d’infrastructures de transformation locale (aciéries, usines de traitement du fer) comme l’avait annoncé le CNRD devant les partenaires.
Mettre en place un fonds souverain alimenté par les revenus miniers, afin de financer des projets structurants et diversifier l’économie guinéenne.
Sans ces mesures, Simandou ne sera qu’un mirage économique, où la richesse du sous-sol guinéen continuera de profiter à d’autres, laissant derrière elle un pays appauvri et dépendant.
OUSMANE CAMARA, Economiste & Analyste de données