19h50. Le vol d’Air France dans lequel j’avais pris place quelques heures plutôt atterrit à Conakry. Cette magnifique ville qui me donne des frissons, même quand c’est juste quelques jours que je me suis absenté. 20h30. Je m’engage dans la rue qui remonte vers Bambéto, en croisant ici et là des taxis bourrés (pas d’alcool), des passagers pressés (pas entre le marteau et l’enclume), des étalagistes essorés (pas comme du linge) par le soleil d’une journée de quête plus ou moins fructueuse.
Tous, nous avons en commun de profiter de la paix que Dieu nous offre et que les autorités nous garantissent, dont le Colosse est le dépositaire. Cette paix-là qui me permet de monter la colline de l’aéroport et après longer les rails pour aller chez mes parents. Je roule pour aller embrasser ma mère que je n’ai pas vu ces derniers jours. Son téléphone. Son téléphone sonne. Sa question est pressée et précise : « Tu es où ? » ; « Je ne suis pas loin de la maison » ; « Tourne et rentre chez toi. Aujourd’hui, ils ont commencé ici encore ». Encore. Encore. Le mot qui révèle toute la lassitude désormais actée des habitants de cet axe. Ce mot, couleur douleur, couleur amère, colère comprimée pour atmosphère délétère du fond des entrailles des riverains de ces quartiers. La rue s’est vidée. En un claquement de doigts. Une fois de plus, malheureusement, les réseaux fusent des mêmes phrases : « Axe Bambéto-Coza à éviter. Restez chez vous, etc. ». Parce que la chaussée, ça brûle. Les pierres, ça fume. Les injures, ça fuse.
Alors, ça panique, malheureusement, dans les voitures et sur les motos. Ça se retourne, ça tourne, ça contourne. Ça s’éloigne de ces lieux qu’il faut s’interdire. Encore. Ne pas monter la colline. Encore. Aller plus bas, parce que là-bas la ville est apaisée. Se mettre à l’abri. Comme ceux qui ont dit qu’ils comptent sur la détermination des Guinéens épris de justice. Comme ceux qui ont tenu des discours de fin d’année sans une seule virgule qui respire dialogue. Alors que par le passé, combien de pantalons de basins amidonnés ou de costards cravates ont-ils usé sur des chaises autour de tables de négociations enfarineuses ? On connaît la phrase. Pas la peine de se la raconter.
Mais revenons plutôt à moi. Je suis donc de la clique qui se retourne, tourne et contourne. Parce qu’il faut bien que j’aille voir ma famille, même si frères et sœurs insistent qu’il vaudrait mieux rentrer et revenir demain. Ça court. Ça se cache dans les concessions.
On a appelé à manifester pour demain. Déjà, la veille, on active les réseaux des bas-quartiers pour commencer les hostilités. Hostilité. Le mot est choisi à dessein. La politique de la peur pour créer chez nous le sentiment du chaos à advenir. On brûle pneus et bois. On engage le bras de fer la veille pour décourager à sortir le lendemain. La tactique est huilée. On la connaît. À certains égards, elle marche. On devient si paranoïaque qu’on en vient à dire à son collègue ou ami : « On se verra, s’il n’y a pas grève ». La tactique est rodée. Mais on la connaît. Mais elle ne fonctionne pas toujours. Ça contourne. Par la route. Et par le sommeil aussi. Pour que la vie continue ailleurs. Ça se lève tôt le matin. Histoire d’aller plutôt au travail. La tactique de la psychose. Ça marche… pas !
Peut-être quand même un rappel à ceux qui pensent avoir le monopole de l’amour de notre pays : la démocratie, la liberté qu’ils vantent tant, ils ont l’obligation de l’accorder. Qu’ils nous l’accordent bien. Tranquillement. Parce que nous la prendrons. Forcément. Nous la prendrons. Nous l’avons d’ailleurs et nous comptons bien la sécuriser. Avec elle, la main tendue du Colosse. Il l’a dit dans son adresse à la Nation à l’occasion du Nouvel an : « Je demande à mes frères et sœurs, aux acteurs politiques en particulier, de regarder d’abord la Guinée, de préserver les intérêts supérieurs du peuple de Guinée dans leur combat politique ». C’est une main amicale et responsable. Mais c’est aussi une main ferme. Parce que la refondation qu’il a engagée ira à son terme. À bon entendeur, salut !
Soulay Thiâ’nguel