Un bien immobilier relevant du domaine public artificiel peut faire l’objet d’aliénation (transfert de propriété). Mais préalablement, il faut que ledit bien soit déclassé par décret pour entrer dans le domaine privé.
En l’espèce, Monsieur Sidya Touré revendique sa propriété devant le tribunal de première instance de Dixiin sur la base d’un décret qui n’a pas été précédé d’une mesure de déclassement. Le TPI de Dixinn a ordonné un renvoi préjudiciel à la Cour suprême afin que cette Haute juridiction statue sur la légalité du décret dont se prévaut le demandeur. (Nous avons déjà présenté succinctement la fiche dudit arrêt dans un précédent article).
La question renvoyée à la Cour suprême est suivante : Le décret ayant attribué la parcelle à M. Sidya Touré est-il légal ?
La Cour a répondu par la négative. Elle a démontré que la parcelle attribuée par décret à M. Touré est un bien relevant du domaine public. Et que ce décret n’ayant pas été précédé d’un déclassement, sur la base des articles 101 et 113 du code foncier et domanial, est illégal.
Dans cet arrêt, la Haute juridiction reconnait implicitement la légalité d’un décret d’attribution au lieu de l’autorisation du président de la République à la vente(I). Cet arrêt pourrait ouvrir la voie au décret d’attribution qui n’existe légalement pas(II).
I- Reconnaissance implicite de la légalité d’un décret d’attribution
Pour l’aliénation d’un terrain (bien immeuble), le code civil prévoit l’autorisation du président de la République (A). Pour l’aliénation par attribution, elle ne peut émaner que de deux autorités et sur des terrains nus (B).
A-L’autorisation du président de la République à la vente d’un immeuble de l’Etat
« Aucun immeuble de l’Etat ne peut être vendu sans l’autorisation du président de la République », selon l’article 557 de l’ancien code civil. La loi n’exclut pas l’aliénation d’un immeuble du domaine privé. Cependant, cette aliénation ne peut être faite que sur autorisation du président de la République.
En effet, c’est le ministre chargé du domaine ou l’autorité locale (maire) qui procède à la vente. Pour ce, ils doivent avoir l’autorisation du président de la République. Dans ce sens toute vente sans cette autorisation est nulle. En plus de cette autorisation, le nouveau code civil a ajouté l’avis conforme de l’assemblée nationale. A savoir que désormais, pour que la vente d’un immeuble de l’Etat soit valable, il faut cumulativement l’autorisation du président de la République et l’avis conforme de l’assemblée nationale.
En tout état de cause, le président n’intervient dans l’opération de la vente d’immeuble que pour donner son autorisation suite à la demande du ministre chargé du domaine qui gère le domaine public de l’Etat. Et l’assemblée nationale n’est concernée dans cette opération que pour donner son avis. Ni le président ni l’assemblée nationale ne vendent.
B- L’aliénation par voie d’attribution
Un terrain nu de propriété peut être aliéné par voie d’attribution. Cette possibilité est prévue par l’article 40 du code foncier et domanial en ces termes « Les terrains nus de propriété peuvent être attribués… » . Pour sa validité, la loi pose des exigences.
Premièrement, l’attribution ne porte que sur des terrains nus de propriété. Il s’agit des terrains non occupés et qui n’appartiennent ni à Paul ni à Pierre (Lire l’article que nous avons consacré à ce sujet).
Deuxièmement, l’aliénation par voie d’attribution est opérée par le maire dans les communes urbaines ou le préfet dans les CRD. Le président de la République n’est pas désigné comme autorité compétente pour l’aliénation par voie d’attribution. A dire qu’il ne peut attribuer un terrain peu importe qu’il soit nu ou occupé.
En disant que le « décret d’attribution » est illégal pour défaut de déclassement, on pourrait se demander s’il existe légalement un décret d’attribution. Légalement, il n y a pas de décret d’attribution. Il n y a que des arrêtés d’attribution émanant du maire ou du préfet et sur des terrains nus. Or dans son arrêt, la Cour reconnait implicitement un décret d’attribution en le confondant à l’autorisation qui doit être requise du président de la République en cas d’aliénation d’un immeuble de l’Etat.
A notre sens, le décret d’attribution devrait être illégal, peu importe qu’il soit précédé du déclassement.
II- Ouverture au décret d’attribution
Si nous partons dans le sens de l’arrêt de la Cour aux antipodes du code civil et du code foncier et domanial, le président de la République peut attribuer un immeuble (I). Seulement la condition de déclassement doit être remplie (B).
A-Possibilité donnée au président de la République d’attribuer un immeuble de l’Etat
La loi ne donne aucune possibilité au président de la République d’attribuer un immeuble qu’il soit déclassé ou non. Comme rappelé ci-haut, il intervient dans la vente que pour donner son autorisation. Or, l’arrêt de la cour sous-entend qu’il peut attribuer un bien du domaine privé. Il suffirait seulement que l’immeuble soit déclassé.
Un président se croirait désormais légitime pour attribuer par décret un immeuble du domaine privé sans fondement légal. Alors qu’il n’existe légalement pas de décret d’attribution. La Cour vient de laisser la confusion entre l’autorisation du président de la République et l’acte d’attribution. L’Autorisation consiste à ordonner la vente lorsque les conditions y afférentes sont réunies. Or l’acte d’attribution consiste à attribuer l’immeuble à une personne. Les deux sont à dissocier.
B- Désaffectation du bien comme condition d’aliénation
L’arrêt de la Cour ouvre champ au président de la République d’attribuer un bien s’il est déclassé. C’est le même président qui dispose du décret de déclassement. La loi prévoit que si un bien ne correspond plus à l’affectation qui lui a été donnée, il peut être déclassé par décret du domaine public pour entrer dans le domaine privé. Si le président peut déclasser par décret, il ne tardera pas à attribuer illégalement par décret.
L’ancien président a eu le malheur de ne pas déclasser les biens avant de les attribuer à ses ministres. Un président après ce décret pourrait en tirer la leçon pour déclasser avant toute attribution.
Certes, le déclassement est la condition avant toute vente d’un immeuble de l’Etat. Mais elle ne donne pas le droit d’attribution au président de la République qui ne se contente que de l’autorisation de la vente. Conformément au code civil, le président de la République autorise la vente, mais il ne vend pas et il ne dispose pas de décret d’attribution au regard du foncier et domanial.
A notre sens, la Cour devrait relever l’illégalité du décret pas que parce qu’il n’a pas été précédé d’une mesure de déclassement, mais parce qu’il n y a pas de décret d’attribution. Ce qui ne laisserait aucune possibilité pour un président d’attribuer un immeuble, bien qu’il soit déclassé.
Kalil Camara, Juriste