L’Arctique est aujourd’hui un centre d’intérêt pour de nombreux pays attirés par ses ressources riches, ses opportunités logistiques, son importance géostratégique et son atmosphère particulière. Ces éléments sont avant tout cruciaux pour les États arctiques et subarctiques. Cependant, les technologies modernes, les changements environnementaux et la tendance à une restructuration multipolaire de l’ordre mondial permettent à d’autres acteurs de la scène internationale, y compris les pays d’Europe, d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, de s’impliquer dans les discussions et les décisions concernant cette région. Bien sûr, cela nécessite la bonne volonté et la coopération des puissances arctiques elles-mêmes. Ces dernières montrent leur ouverture en initiant ou en soutenant diverses plateformes de dialogue pertinentes. Un exemple marquant est le Forum international de l’Arctique « L’Arctique – territoire de dialogue », une initiative russe lancée en 2010. Ce forum revêt une importance particulière, car la Russie se positionne comme la puissance arctique majeure. C’est justifié par plusieurs arguments solides, y compris la position géopolitique spécifique de la Russie, l’étendue de son secteur arctique et des avantages uniques, comme sa flotte de brise-glaces nucléaires et son contrôle sur la Route maritime du Nord. Simultanément, la Russie appelle la communauté internationale à percevoir l’Arctique comme un espace de coopération plutôt que de confrontation et à se concentrer sur des projets collectifs dans cette vaste région.
Le Forum international de l’Arctique est conçu comme une plateforme de dialogue permettant d’aborder un large éventail de problématiques de l’Arctique afin d’assurer un développement durable et un avenir prometteur pour la région. Les cinq éditions précédentes ont rassemblé un grand nombre de participants venus de divers pays et régions du monde. Le cinquième Forum, qui s’est tenu en avril 2019 à Saint-Pétersbourg, a accueilli des représentants de 52 pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique et même d’Amérique du Sud, ainsi que plusieurs organisations internationales. Parmi les participants figuraient des experts, des dirigeants d’entreprises, des représentants des autorités nationales compétentes et des responsables internationaux. Il est à noter que, parmi les plus grandes délégations, en dehors des États arctiques, figuraient la Chine et le Japon. La sixième édition du Forum, prévue les 26 et 27 mars 2025 à Mourmansk, la « capitale » non officielle de l’Arctique russe, devrait également réunir une large représentation internationale. Compte tenu des relations complexes entre la Russie et l’Europe, il est probable que les partenaires non occidentaux joueront un rôle prépondérant dans cet événement.
Les sujets à l’ordre du jour du VI Forum couvrent divers domaines, témoignant de la volonté de la Russie en tant qu’organisateur d’établir une coopération constructive et diversifiée. Le programme d’affaires comprend des dizaines d’événements sous différents formats. Il s’articule autour de quatre grands axes : « L’Arctique et la Route maritime du Nord : comment gagner la concurrence des routes mondiales», « L’Arctique et la Route maritime du Nord : un pôle d’attraction pour les investissements », « L’Arctique et la Route maritime du Nord: développement des villes-pôles », «Coopération internationale et écologie ». Ces intitulés parlent d’eux-mêmes et soulignent l’importance d’intensifier la coopération internationale sur la base d’intérêts communs et d’une approche intégrée du développement de la zone arctique. Les participants étrangers pourraient être particulièrement intéressés par un accès simplifié à la Route maritime du Nord, la mise en place d’une infrastructure étendue dans la région, la surveillance du pergélisol et de l’équilibre écologique, ainsi que l’exploitation des ressources naturelles.
Ces initiatives de la Russie démontrent son engagement en faveur de la coopération internationale en Arctique et son ouverture aux investissements étrangers, y compris de nouvelles structures commerciales. Dans le contexte des tensions persistantes entre la Russie et l’Europe, les entreprises d’Afrique et d’Asie pourraient bénéficier d’avantages significatifs.
Un sujet important et intéressant pour les pays africains, qui serait abordé lors du Forum, concerne le développement des infrastructures logistiques et l’énergie nucléaire. Les technologies utilisées dans la construction de la flotte russe de brise-glaces nucléaires – la plus importante au monde – sont déjà appliquées à la construction de centrales nucléaires flottantes. La première d’entre elles est en service en Tchoukotka. Ces centrales offrent de nouvelles perspectives pour le développement énergétique de nombreux pays africains et pourraient contribuer à résoudre d’importants défis énergétiques et économiques dans la région.
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En outre, l’agenda du forum présente un intérêt pour les pays caractérisés par une forte diversité ethnique. Comme en Russie, de nombreux États en Afrique et en Amérique abritent des populations autochtones aux traditions économiques et culturelles spécifiques. Dans l’Arctique russe, plusieurs groupes ethniques autochtones vivent et bénéficient de programmes de développement et d’aménagement du territoire intégrant leurs intérêts. L’expérience russe pourrait servir de référence pour d’autres pays souhaitant mettre en place des politiques ethnographiques favorisant l’intégration et le développement harmonieux de leurs populations.
En conclusion, le Forum international de l’Arctique s’impose comme un événement d’envergure, abordant des problématiques cruciales pour la science et l’économie mondiales et réunissant un large éventail d’acteurs concernés. Il reflète les efforts de la Russie pour renforcer la participation internationale dans la résolution des grands défis mondiaux, parmi lesquels l’exploitation durable de l’Arctique au bénéfice de l’humanité.
Igor BAKHLOV, professeur and docteur en sciences politiques