Le riz demeure au cœur de la volonté de souveraineté alimentaire de la Guinée, justifiée par de nombreux arguments : les Guinéens sont parmi les plus gros consommateurs de riz d’Afrique avec une consommation estimée entre 110 et 130 kg en moyenne par an et par habitant en Guinée Maritime ; la Guinée importe annuellement près du tiers de sa consommation en riz qui couvre 40 % des besoins énergétiques des familles et constitue le premier poste de dépenses des ménages avec 20 % de leurs revenus (Neumeyer, 2009 actualisé en 2021 par MOCAM CONSULTING).
Facteur de stabilité sociale, fierté nationale et même sujet de politique intérieure, il apparaît donc que toute action qui vise à stimuler la production rizicole en Guinée ait représenté un enjeu national, repris et encouragé par les politiques et les bailleurs.
Selon l’USDA ( Département américain de l’agriculture), la production de riz devrait se située entre 2,4 et 2,9 millions de tonnes de paddy en 2022 en Guinée ( source : http://www.fao.org/giews/countrybrief/country.jsp?code=GIN&lang=fr, http://www.commodafrica.com ). Est-ce suffisant pour atteindre l’autosuffisance ?
BRÈVE HISTORIQUE DU MYTHE DU RIZ
Dès 1570, Alvares Almada, navigateur portugais, constate que le riz est déjà cultivé en Guinée, sur la base des savoir-faire transmis par les Ballante de Guinée Bissau (Neumeyer, 2009).
Pendant la période coloniale (1898-1958), les colons prennent conscience des « racines des potentialités de mangrove » au cœur des « Rivières du Sud » allant de la Guinée Bissau jusqu’au Libéria (Ruë, 1998) et encouragent le développement de centres de recherche locaux. Les potentialités agro-écologiques du pays sont perçues par les dirigeants coloniaux comme une opportunité de supplanter l’Indochine et de subvenir aux besoins de l’Afrique Occidentale Française (AOF) (Neumeyer, 2009).
Malgré la succession de politiques variées (socialiste collectiviste sous la première République puis libérale sous la deuxième), les orientations en termes d’aménagement sont conservées et encouragées : sous le régime de Sékou Touré, à partir de 1958, les projets d’aménagement des grandes plaines sont développés avec différents financements russes, américains et chinois puis poursuivis sous l’influence des politiques d’ajustement structurel du Président Lansana Conté (1984-2008) prônant le libéralisme économique après 26 ans d’économie centralisée. Elles ont créé un fossé entre les politiques gouvernementales et les réalités nationales, notamment en 1988 avec une hausse généralisée des prix difficilement soutenable par les populations. De plus, l’importation de riz depuis les années 1980 n’incite pas les producteurs à produire plus, le prix du riz importé étant similaire ou inférieur au riz local, auquel s’ajoutent des difficultés d’accès aux moyens de production, en particulier les intrants lorsqu’ils ne sont pas subventionnés. Or, les subventions ne faisaient pas partie du modèle économique libéral prôné. L’écart entre le monde rural et la vision de l’État se creuse.
Les initiatives présidentielles d’ALPHA CONDÉ tantent de rapprocher l’Etat des paysans
Le Président Alpha CONDÉ a pris de nombreuses initiatives garantir l’approvisionnement des populations en riz a coût abordable : on peut citer rapidement l’abrogation de l’oligopole sur l’importation de cette denrée et le soutien à la production locale avec pour objectif l’autosuffisance en 2025. Les premières rizeries du pays voyent le jour grâce à cette volonté du Président.
QUE DIRE DU PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT DE L’AGRICULTURE COMMERCIALE DE GUINÉE ( PDACG) lancé par Alpha CONDÉ et Ousmane DIAGANA Vice-président BM ?
Le PDACG qui intègre le développement des chaînes de valeur des cultures vivrières peut il permettre à la Guinée d’atteindre l’autosuffisance quand on sait que des difficultés existent?
LES DIFFICULTÉS LIÉES AU DÉVELOPPEMENT DE LA CHAÎNE DE VALEUR :
1- CONTRASTE ENTRE RIZ LOCAL ET CELUI IMPORTÉ
En Guinée, le riz, local ou importé, constitue la base quotidienne de la ration alimentaire. La consommation des autres produits de base, fonio, maïs et manioc, plus coûteux que le riz, est généralement limitée au week-end. Dans quelques villes de l’intérieur du pays, cependant, une plus grande diversification de l’alimentation est observée par rapport aux autres sites, avec une consommation occasionnelle d’igname, de toh de maïs et manioc, voire d’attiêké.
Les achats de riz importé sont avant tout motivés par des rapports de prix, et des contraintes de budget rapportés à la taille du ménage. Mais même chez les ménages défavorisés, l’achat et la préparation de riz local peuvent être effectués en petites quantités pour être réservés à certains membres du ménage comme les personnes âgées. Et les pratiques de mélange de riz importé et local sont fréquemment observées [Diallo, Guillerm, Tounkara, 1999 ; Drame, Tounkara, 2000].
Cette évolution semble aller de pair avec une profonde transformation des systèmes d’approvisionnement, fondée sur la substitution, au moins partielle, des produits des campagnes guinéennes aux importations.
2- CONVERGENCES ET CLIVAGES ENTRE PRODUCTEURS ET COMMERÇANTS
Le principal clivage entre les producteurs et les consommateurs, peut-être le plus évident, est celui du prix des denrées alimentaires. En effet, en toute logique économique, le producteur a intérêt à vendre son produit le plus cher possible afin de couvrir ses coûts de production et de dégager une marge acceptable, alors que le consommateur veut toujours acquérir les biens au moindre coût, afin de garantir un pouvoir d’achat élevé. Malgré la prédominance de la population rurale, dont une grande majorité dépend des revenus agricoles, les mesures en termes d’approvisionnement des marchés visent essentiellement à satisfaire les consommateurs urbains (demande en riz notamment) et certaines catégories professionnelles (militaires). Cette réalité peut être illustrée dans le contexte guinéen par plusieurs mesures accentuant cette approche contradictoire du marché : la subvention des importations de riz asiatique, diminuant le prix du riz importé sur le marché, au détriment de la production nationale ; l’application de barrières à la sortie des produits alimentaires (souvent au niveau des ré-gions) ou autres entraves à la commercialisation des produits ; distribution de riz aux miliaires (à moitié prix), L’installation de MAGASIN TÉMOIN …
3-GOULOTS D’ÉTRANGLEMENT DANS LES PROCESSUS DES CHAÎNES DE VALEURS DU RIZ
3-1 CONTRAINTES: • Rendement • Accès aux intrants • Machinerie (transformation manuelle traditionnelle et équipement obsolète) • Gestion des terres et de l’eau
3-2 PRODUCTION : Irrigation inadéquate qui entraîne une production irriguée hautement instable.
- Faibles niveaux de technologies agricoles-le plus souvent rudimentaires et destinées à l’agriculture vivrière.
- Rendements entravés par l’incapacité à atténuer l’impact des mauvaises herbes, des oiseaux et des insectes.
3-3TRANSFORMATION: Transformation manuelle traditionnelle et équipement obsolète des minoteries qui génèrent de grandes pertes physiques et de qualité des graines.
- Les plus grandes minoteries ont des difficultés à s’approvisionner en quantités suffisantes de riz paddy pour maintenir la pleine capacité de production de leur équipement.
- Les coupures d’électricité augmentent considérablement les coûts.
- Utilisation limitée de sous-produits comme les coques et les pailles du manque de technologie appropriée.
3-4 UTILISATION FINALE: • La production locale passe entre les mains de plusieurs intermédiaires compressant ainsi les marges des revendeurs.
- La perception qu’on se fait de la haute qualité des importations en raison de leur propreté et de leur emballage entraîne la désaffection des consommateurs qui boudent le riz local.
- Approvisionnement fragmenté dominé par les petits exploitants qui ont un faible pouvoir de négociation.
STRATÉGIE NATIONALE PROPOSÉE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA CHAÎNE DE VALEUR DU RIZ
- Introduction de variétés de court cycle à haut rendement et résistantes aux maladies.
- Motoculteurs mécanisés avec des remorques localement fabriquées-une machine motorisée pour la préparation de la terre et du transport des produits et cultures agricoles.
- Moissonneuses de riz- une machine motorisée qui coupe les pailles, de riz lors des récoltes, pour battage. Améliorer l’usinage (décorticage) du riz.
- Technologie d’étuvage- équipement non motorisé qui renforce la qualité des grains et améliore l’efficacité énergétique.
- Lancer un Groupe de travail sur la spéculation riz pour fédérer, de manière cohérente et complémentaire, toutes les initiatives avec l’objectif d’aboutir à un partenariat efficace Public-Privé pour atteindre l’autosuffisance en riz.
- Consolider une garantie nationale de capacité d’usinage et l’utiliser pour accéder au financement afin d’augmenter les investissements en moulins.
- Mettre en place une Agence boursière nationale de produits rizicoles et de contrôle de qualité et de prix qui, développera les paramètres pour le riz local et celui destiné à l’exportation. La bourse organisera aussi des enchères et des ventes en ligne-via Internet.
- Forum national de femmes dans l’agriculture pour sensibiliser les femmes sur le potentiel existant dans l’exportation du riz, sa contribution à la sécurité alimentaire et, promouvoir davantage les femmes agricultrices et meunières.
- Programme de développement des jeunes à identifier, mobiliser et utiliser les services des jeunes diplômés dans le secteur du riz, soit comme des entrepreneurs à leur propre compte ou au service des autres: a) Emploi dans le secteur des ventes; b) Production de semences certifiées; c) Fourniture de services liés aux récoltes ou au battage; d) commercialisation de produits à base de riz; e) offrir des conseils en milieu rural en utilisant des outils de gestion basés sur les TIC, introduction de techniques modernes de riziculture.
- Développer une stratégie de logistiques à l’échelle du pays pour mettre en relation les acteurs du marché et positionner la Guinée pour ce qui est de l’exportation du riz.
Par Mohamed CAMARA Economiste Consultant Associé Gérant du Cabinet Conseil MOCAM CONSULTING)